Sidi Larbi Cherkaoui souhaite sonder et mettre en lumière les puzzles qui se dissimulent derrière les relations humaines (tant émotionnelles, intellectuelles que sexuelles), derrière la morphologie du corps et derrière l’intangible, comme la musique qui s’inspire de traditions multiples et dont la composition puise dans des sources diverses (ainsi, une composition liturgique espagnole peut avoir des racines arabes, ensevelies dans les sables du temps). Accompagné sur scène de l’ensemble polyphonique corse A Filetta, de la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage (que l’on a pu voir dans Origine) et le percussionniste et flûtiste japonais Kazunari Abe, Sidi Larbi Cherkaoui analyse la façon dont une chanson ou une composition peut provenir de plusieurs sources à la fois : religieuses et profanes, chrétiennes et musulmanes, etc. Il se penche également sur le fait que les traditions que nous cataloguons si facilement d’occidentales ou d’orientales sont nettement moins définies et univoques qu’on ne peut le penser. Le chorégraphe rend ainsi hommage à cette imperfection exquise qui donne corps à nos vies et notre planète.
Apocrifu a été créé à la Monnaie quelque deux mois après Myth, sa première production pour le Toneelhuis. Myth peut être vu comme une sorte de synthèse provisoire de l’univers musical et chorégraphique de Sidi Larbi : épique par la trame des histoires qui y sont compilées, et baroque par le langage imagé et hiérarchisé qu’il développe. Sidi Larbi y souscrit à l’idée développée par Joseph Campbell et Stanley Keleman dans leur ouvrage intitulé Myth and the Body, selon laquelle tous les mythes ont en définitive un rapport avec le corps : naissance, croissance, transformation et mort. Ou encore que les récits et l’imagerie mythiques ont pour fonction de « présenter des images évocatrices, touchantes, qui résonnent au plus profond de ce qui nous anime, pour ensuite émerger de nous et se transformer en action ».
Il s’agit d’une création prenant, certes, sa source dans le dédale de la mémoire orale insulaire mais pas seulement ; on y retrouve des accents empruntés à d’autres traditions vocales accueillies en Corse par les chanteurs d’A Filetta depuis la création des Rencontres de Chants Polyphoniques de Calvi. Quatre longs chœurs d’une durée totale d’environ 48 minutes pour évoquer les amours passés de Médée et Jason, l’épopée des argonautes et enfin, la fureur meurtrière de l’épouse répudiée, puis bannie du royaume. Une musique parfois âpre, souvent tendre voire fragile, mais qui traduit toujours la violence des sentiments et la peur des hommes face à la colère des dieux.
Lorsque le chant évoque la mort, ne célèbre-t-il pas la vie ?
De tous temps, en Corse, la tradition a consacré une place importante au culte des morts. Depuis plus de trente ans maintenant, bien des ensembles de l’île ont révélé au grand public l’existence de ces requiems traditionnels interprétés en polyphonie (Rusiu, Sermanu, Ascu, Olmi cappella, Sartè, Calvi, …). Di Corsica riposu, Requiem pour deux regards est une création commandée par le festival de Saint-Denis ; une œuvre pour six voix, récitant et bandonéon.